La Terre sans Mal, c’est d’abord un lieu d’abondance : le maïs y croit de lui-même ; les flêches s’en vont seules à la chasse. Plus de travail donc. Pas davantage de règles de mariage; ni prescriptions, proscriptions : « Vos filles donnez-les à qui bon vous semble! », disait les Karaï, les Prophètes. C’est à dire que le mal (travail, loi) n’a pas d’autre origine que la société elle-même. La Terre sans Mal c’est le contre-ordre, la plénitude dans la subversion. C’est aussi et enfin le lieu de l’immortalité, cependant qu’ici-bas les humains naissent et meurent. Tout se passe comme si telle était la correspondance entre l’ordre social des règles (lequel implique le travail et l’échange, l’effort et l’obligation) et l’ordre naturel de la génération (lequel implique naissance et mort), et qu’il suffit d’abolir celui-là pour se libérer de celui-ci. Une religion, donc, qui détruit l’état de société : dans les tribus tupi-guarani pré-colombiennes, elle s’engendra sous l’action et par le Verbe des Prophètes, qui annonçaient la possibilité de parvenir, au terme d’exodes qui furent bien réels, jusqu’à la Terre sans Mal, lieu d’abondance, anti-société, lieu d’immortalité.