Carnets retrouvés d’explorateurs des pôles : (Nansen et Johansen 1897) Jeudi, 3 janvier. Une journée d’inquiétude… Hier nous échafaudions des plans d’avenir. et aujourd’hui combien il s’en est peu fallu que nous restions sur la glace sans un toit pour nous abriter : Quand je me suis réveillé, à 8 heures, j’ai entendu des grincements et des craquements, comme si la pression commençait. Un léger tremblement a agité tout le navire, tandis qu’un grondement retentissait au dehors. Je sortis et ne fus pas peu surpris de rencontrer une énorme croupe de pression le long du chenal à bâbord, à trente pas à peine du navire ; de ce côté, des fissures s’étendaient jusqu’à moins de vingt pas de nous. Le 5 janvier la situation ne s’est pas améliorée. Tout le monde a dormi habillé, avec les objets les plus indispensables soit à portée de la main, soit attachés autour du corps. A la première alerte, tous seront sur la glace. Tout est prêt et l’ordre est parfait. les grondements, les rugissements de la pression continuent sans trêve. C’est un incessant et assourdissant fracas. La montagne de glace mouvante, dressée à bâbord sur le flanc du navire qui penche de plus en plus, déverse sur le pond des glaçons et des paquets énormes de neige (…) Je descendis et j’appelai tout le monde sur le pont, en recommandant qu’on ne sortit pas par la porte de bâbord, mais par la chambre des cartes à tribord. Je craignais que si les portes à bâbord n’étaient pas tenues closes, la glace, faisant subitement irruption, se précipitât dans le passage et nous enfermât comme des souris dans un piège, tandis que nous ramasserions les sacs d’effets personnels qui étaient dans le salon. (Je remontai moi-même pour libérer les chiens qui, depuis l’inondation de leurs chenils, étaient parqués sur le pont, sous la tente, où après avoir échappé à la noyade, ils pouvaient s’attendre à présent à être ensevelis vivants. J’ouvris la porte en coupant le lien et ils s’échappèrent lestement, en hurlant, vers tribord.) Pendant ce temps, on commençait à monter sacs et valises. Il n’était pas necessaire de presser les hommes : la glace se chargeait de les stimuler, en grondant contre les flancs du navire. C’était un terrible brouhaha dans les ténèbres, d’autant plus épaisses que, pour couronner le tout le second, dans la confusion générale avait laissé éteindre les lanternes. Je dus redescendre pour chercher des chaussures : mes souliers étaient à sécher dans la cuisine. Quand j’y arrivai, la pression faisait rage et les poutres de l’entrepont craquaient au- dessus de ma tête à me faire croire qu’elles allaient s’effondrer. Le salon, les couchettes et le pond furent bientôt débarrassés des sacs, et nous nous mîmes en marche sur la banquise. Le vacarme de la glace qui se ruait et s’écrasait, comme une vague furieuse, contre la coque du navire était tel que nous pouvions à peine nous entendre parler : mais bientôt tout fut en sûreté. D’ailleurs, tandis que nous traînions les sacs, la pression s’arrêta enfin et tout redevint tranquille. Mais quel spectacle ! le côté bâbord disparaissait presque sous la neige…