Les larmes de Byblis
Savez que Pan est mort? Celui qui me l’a dit c’est ce gros poisson fou qui fait tant de bruit tous les soirs en remontant le ruisseau. Il dort là-bas sous le cresson. Il m’a dit : » On a entendu un cri comme si on égorgeait un cochon. »
Le ciel s’est penché, les nuages, ont glissé sur l’azur. Ils étaient entassés au fond de la mer comme une montagne d’ombre. Il m’a dit : » Moi, je m’amusais avec les vagues et tout d’un coup j’ai vu! Il était mort. »
Il s’en allait vers le large avec une pastèque pourrie et un vieux cordage.
Les dieux s’en vont et Zeus a passé près de moi. C’était pendant le calme de la mi-nuit. le vent portait déjà des feuilles mortes. Des vols de feuilles mortes traversaient la nuit en effaçant les étoiles. Zeus est venu. Il marchait dans le chemin comme un homme, mais il parlait comme les eaux. Il m’a dit : » Petite, je vais garder les boeufs chez les montagnards.
« Sauterelle, où vas tu? _Sur l’autre rive versant du bois. _Mante verte, où vas-tu? _Sur l’autre versant du bois. _Pourquoi quittez vous la clairière si fraîche? Vous le savez pourtant où vous allez, là-bas, les feuilles à poison et l'humide chaleur de l’herbe vous tueront. _Ecoute, source, tu ne sais pas, toi, tu es là attachée à ton rocher comme un paquet de cheveux blancs. On va te dire. Ecoute : il ne faut plus aller dans la clairière aux sapins. Au milieu des hautes herbes, les Erynnies se sont cachées. Elles sont là et elles guettent les dieux.
Ce matin, elles ont étouffé Vénus, et elles ont dansé sur elle avec leur large pied de fer, et le sang a ruisselé d’elle comme le vin d’outre foulée. Maintenant, c’est une harpie qui règle les jeux de l’amour.
« Ah! source, approche-toi, je n’en peux plus. Un peu de toi sur ma langue. _Pigeon, pauvre pigeon! _Vite à boire! si tu savais! là-bas à la corne du bois d’olivier il y a trois sangliers qui creusent la tombe d’Apollon! »
Midi. Vent mort. Du haut du ciel tombe une fleur que je ne connais pas. Qui est-tu fleur? « Artemise, je suis une paysanne. le vent m’a prise et je volais, là-haut. _Fleur. j’ai connu quelqu’un qui s’appelait comme toi. C’était une femelle de dieux. Je l’ai bien connue, elle venait et je lui léchais les pieds. Elle attendait la nuit. Quand les deux cornes de la lune dépassaient la colline, elle entrait en moi comme un couteau.
Une dryade perdue frappe à l’écorce du chêne. Elle a peur. Un crapaud la guette. Un roi des crapauds. Un crapaud riche avec des diamants pleins le dos. Il saute, elle s’envole; il saute, elle s’envole. Toc, toc, elle toque à l’écorce du vieux saule. C’est la maison du satyre. Il ouvre. Il rit, il a des poils ardents et tout en cuisse et tout en… elle hésite, mais le crapaud! Elle entre.
Un troupeau de faunes traverse la colline en bêlant comme des chèvres.
A l’aube, la Dryade sort du saule. Debout dans l’herbe, elle se lisse les hanches et penche sa tête pour respirer l’odeur de ses reins, de sa peau; ça sent le bouc. Sa main ronde comme un bouclier bouche le bas de son ventre.
Derrière les collines un orage charrie des pierres pour lapider les buissons de roses.
L’amour du satyre est décevant. Au fond ce n’est qu’un bouc. Autrement dit… La dryade est venue vers moi, la source. Elle s’est accroupie sur moi. Elle prenait ma fraîcheur dans ses mains; elle a apaisé son corps. Alors le crapaud s’est levé et il s’est avancé en clopinant. Il s’est mis sur son trente et un. Tous les diamants de son dos ruissellent du pus luisant. Par fantaisie, il a pris son parapluie en feuilles de bardane. Et la Dryade a recommencé à courir, de-ci de-la, quêtant un abri chez les arbres.
Un nuage me pénètre de son ombre. C’est bon, l’Amour!
« Belette, pourquoi hausses tu tes pattes quand je te touche. Je ne brûle pas. Belette. _non source, tu me mouilles. Avec la terre, ça fait de la bou. Je préfère les épines, ça afit du snag, ça blesse, ça ne salit pas.
« Voilà l’hiver. Le gel et le silence, enlacés, parcourent le bois. Le trou d’eau, où se mirait la vie des feuilles et le ciel, est pareil à un oeil crevé.
D’où m’est arrivé? Elle a sifflé et s’est plantée à côté de moi.
C’est bien l’hiver, les hommes ont faim. Elle était faite d’un jeune brin d’osier, cette flèche, et voilà le printemps est venu par les plaines et les montagnettes : dans l’entaille qui épousait la corde de l’arc un petit bourgeon vert se gonfle.
Et voilà le petit Centaure? Depuis deux jours je l’entendais courir sous bois cassant des branches comme un vent. Il vient de passer Il jouait une marche allègre sur un syrinx de canne. Et il pétaradait l’insolent. Il ne va pas trder, lui aussi, à aller le soir à la lisière du bois, fou, le cou tendu, hennir joyeusement vers les filles des hommes. « Byblis, source! _Qui m’appelle? _Moi la pie. Je suis sur la branche de ce pin, j’ai un bonjour à te donner. C’est de Zeus. Tu te souviens de lui? Eh bien, il est là-haut dans la montagne. Un endroit où il pleut tous les jours. Il s’est loué chez les paysans mais il est juste bon à mener paître les buffles. Son aigle s’est cassé la patte. L’autre jour il a voulu embrasser une fermière. Il est toujours le même. Il a reçu une belle gifle. » J’ai revu le jeune Centaure. Il est venu se laver à l’étang. Il avait la poitrine tout égratignée et le dessous du ventre plein de sang. Il est allé au village voler une femme. Elle a hurlé tout la nuit. Et elle est morte le matin sous l’amour énorme.
« Laie, cesse de me piétiner, et dis moi, j’entend une chanson nouvelle, une voix d’arbre qu’est-ce que c’est? _Source, l’été dernier avec mes deux mâles nous avons enterré Apollon sous les funèbres oliviers. Et voilà que de la fosse un grand arbre s’est levé. C’est le cyprès. c’est lui qui chante. »
Ni le corbeau, depuis longtemps, ni la pie, et ni le merle, ne m’ont parlé de Zeus. la dernière fois ils m’ont dit (il y a quatre hivers de cela): » Source, tu ne le reconnaîtrais plus, il est sale. Il boit de l’eau-de-vie de cerise. Un soir, au fond de l’écurie où il couche, il s’est taillé la barbe avec les ciseaux pour tondre les mulets. Il aime d’amour une grosse pastoure aux fesses de jument, elle le floue devant lui avec un idiot à goitre. Alors il fait de la musique aux paysans avec un accordéon qu’il étire douloureusement entre ses bras. » Un long javelot est venu et il a cloué le petit Centaure contre un platane. Il a piaffé, et il a rué, et il hurlé. C’est si difficile de faire entendre raison à un javelot tout en fer. Maintenant, il y a un gros paquets de mouches dans les yeux et dans la bouche de Centaure.
Et la Dryade est morte aussi, puisqu’elle est là, étendue dans l’herbe sous les caresses du crapaud. Les hommes entrent sans dans le bois sacré. Ils ont apporté à deux pour la laver la statue du nouveau dieu. Il est cloué sur une croix comme un voleur, et s’il est nu, c’est pour qu’on voit son coeur comme un fruit rouge. Je suis la dernière. je me souviens! Les autres dieux! Je suis la païenne, mais parce que je suis faible et goutte à goutte je pleure comme eux, les hommes m’ont laissé vivre.