« Il y avait un bois sacré, qui, depuis un âge très reculé, n’avait jamais été profané. Il entourait de ses rameaux entrelacés un air ténébreux et des ombres glacées, impénétrables au soleil. Il n’est point occupé par les Pans, habitants des campagnes, les Sylvains maîtres des forêts ou les Nymphes, mais par des sanctuaires de dieux aux rites barbares ; des autels sont dressés sur des tertres sinistres et tous les arbres sont purifiés par le sang humain. S’il faut en croire l’antiquité admiratrice des êtres célestes, les oiseaux craignent de se percher sur les branches de ce bois et les bêtes sauvages de coucher dans les repaires ; le vent ne s’abat pas sur les futaies, ni la foudre qui jaillit des sombres nuages. Ces arbres qui ne présentent leur feuillage à aucune brise inspirent une horreur toute particulière. Une eau abondante tombe des noires fontaines ; les mornes statues de dieux sont sans art et se dressent, informes, sur des troncs coupés. La moisissure même et la pâleur qui apparaît sur les arbres pourris frappent de stupeur ; ce que l’on craint ainsi, ce ne sont pas les divinités dont une tradition sacrée a vulgarisé les traits ; tant ajoute aux terreurs de ne pas connaître les dieux qu’on doit redouter ! […] Les peuples n’en approchent pas pour rendre leur culte sur place, ils l’ont cédé aux dieux. » Texte établi et traduit par A. Bourgery, Paris, Les Belles Lettres, Livre III, CUF, 1967