[-Je voudrais vous poser une question simple : qu’est ce qu’un mythe?] – C’est tout le contraire d’une question simple, car on peut y répondre de plusieurs façons. Si vous interrogiez un Indien américain, il y aurait de fortes chances qu’il réponde: une histoire du temps où les hommes et les animaux n’étaient pas encore distincts. Cette définition me semble très profonde. Car, malgré les nuages d’encre projetés par la tradition judéo-chrétienne pour la masquer, aucune situation ne paraît plus tragique, plus offensante pour le cœur et l’esprit, que celle d’une humanité qui coexiste avec d’autres espèces vivantes sur une terre dont elles partagent la jouissance, et avec lesquelles elle ne peut communiquer. On comprend que les mythes refusent de tenir cette tare de la création pour originelle; qu’ils voient dans son apparition l’événement inaugural de la condition humaine et de l’infirmité de celle-ci.
On pourrait aussi chercher â définir le mythe par opposition à d’autres formes de tradition orale: légende, conte…
Mais ces distinctions ne sont jamais nettes. Peut-être ces formes ne jouent-elles pas exactement le même rôle dans les cultures, mais elles sont produites par le même esprit, et l’analyste ne peut s’interdire de les exploiter ensemble.
En quoi consiste cet esprit? Je l’ai dit, à l’opposé de la méthode cartésienne, par un refus de diviser la difficulté, ne jamais accepter de réponse partielle, aspirer à des explications englobant la totalité des phénomènes.
Le propre du mythe, c’est, confronté à un problème, de le penser comme l’homologue d’autres problèmes qui se posent sur d’autres plans: cosmologique, physique, moral, juridique, social, etc. Et de rendre compte de tous ensemble.