C’est la mer qui rend la terre ronde
Dans ce nouveau système, la découverte de la rotondité de la terre n’a de cesse de se confirmer chaque jour par le mouvement dorénavant continu des porte-conteneurs et autres navires marchands. Leur mouvement perpétuel affirme le caractère circulaire du globe. Le continuum se substitue à l’espace fini et délimité des trajets de côte à côte.
Hier ensemble de mondes indépendants, la planète accède à sa dimension globale par l’émergence d’un océan unique, dont les flux construisent un système mondial. Exploiter la mer, c’est alors s’approprier l’ensemble de la surface de la planète.
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La mer rend la terre liquide
La normalisation et la standardisation des flux maritimes provoquent la perte de neutralité de la mer : indépendante, unifiée, codifiée, elle est devenue prescriptive. Les normes maritimes déterminent le fonctionnement du port et son aménagement qui se singularise voire se détache du domaine terrestre.
Ainsi la mer, devenue un système autonome de valeurs et de références, impose son ordre à la terre et tend à influencer l’espace terrestre à mesure de sa prise de pouvoir dans le fonctionnement planétaire. Progressivement, des pans de territoires se dissocient du fonctionnement terrestre pour entrer dans le domaine maritime. La terre « devient liquide » : elle se désolidarise de la construction territoriale et des réseaux terrestres, en s’associant, ou en se dédiant, aux flux maritimes. Le contrôle de l’humain sur la mer recompose le monde en un espace archipélagique global : sur les eaux comme sur le continent, les établissements humains se comportent comme des corps autonomes, affranchis de la continuité terrestre et mis en relation par la connectivité absolue de la mer. Produits de ce système maritime planétaire, les nouvelles capitales du monde prennent la forme de vastes plates-formes, hubs de transbordement, espaces extraterritoriaux, et raccordés au système global par les flux maritimes.
Avec la prise de pouvoir de la mer sur le système planétaire, la côte devient un espace particulièrement attractif qui voit se construire de nouvelles installations et urbanisations, au détriment des villes et implantations historiques qui peu à peu perdent de leurs fonctions.
La force de recomposition territoriale exercée par le port de Tanger Med est révélatrice du pouvoir de dissolution venu de la mer. L’usine Renault de Mellousa, les zones franches de Fnideq et de Tanger Automotive City, la ville nouvelle – cité dortoir – de Chrafate sont parmi les nouveaux pôles apparus autour et pour le port de Tanger Med. Ils en favorisent l’autonomie par rapport aux structures existantes sur le territoire. Ce nouveau système de port autarcique précipite la perte d’influence de la ville de Tanger, dont les emplois et les habitants se dirigent vers les nouvelles zones dynamiques connectées au port, laissant encore à la ville historique les fonctions de services, de loisirs, de culture et de tourisme. Un peu plus loin vers l’est, la Tunisie nourrit le rêve d’un projet semblable. Le nouveau port en eaux profondes d’Enfidha devrait capter une part du marché du transbordement méditerranéen et s’accompagnerait de l’aménagement d’une zone franche, d’un nouveau centre touristique, d’une zone industrielle et logistique…
Porteur d’une nouvelle logique territoriale linéaire, c’est l’ensemble du trait de côte qui en théorie dispose de ce potentiel de nouvelle interface, à même d’engager une recomposition, voire une dislocation des organisations territoriales existantes.