L’arrêt du travail est un grand moment, qui a été glorifié dans l’hymne des ouvriers. Beaucoup d’éléments concourent au sentiment de soulagement par lequel commence une grève pour les ouvriers. Leur égalité fictive, dont on leur parle, mais qui tient sans plus, en réalité, à ce qu’ils se servent tous de leurs mains, devient soudain une égalité réelle. Tant qu’ils travaillaient, ils avaient les choses les plus diverses à faire, et toutes leur était prescrites. Dès qu’ils suspendent le travail, tous font la même chose. C’est comme s’ils laissaient tous retomber les mains au même moment, comme s’ils avaient maintenant de la force à employer à _ne pas _les relever, peu importe que les leurs aient faim. L’arrêt du travail rend les travailleurs égaux. (…) Un examen de la masse de refus est indispensable, ne serait-ce que parce qu’elle trahit d’autres traits, des traits diamétralement opposés, même. Aussi longtemps qu’elle reste fidèle à sa nature, elle n’a pas le moindre penchant à la destruction.
Il est vrai toutefois, qu’il n’est ps facile de la maintenir dans cet état. Quand les choses vont mal et que les privations prennent des proportions difficilement supportables, mais surtout quand elle se sent attaquée ou assiégée, la masse négative tend à se transformer en une masse positive ou active. Les grévistes, qui se sont interdit brusquement toute activité habituelle de leurs mains, peuvent avoir beaucoup de mal, au bout d »un certain temps, à les laisser inactives. Dès qu’ils sentiront que l’unité de leur résistance est menacée, ils seront entraînés à des destructions, et de préférence dans la sphère de leur activité familière. C’est là qu’intervient la tâche principale de l’organisation; il lui incombe de maintenir dans toute sa pureté le caractère de la masse de refus et d’empêcher toute action individuelle positive. Il lui appartient aussi de reconnaître à quel moment doit être levé l’interdit auquel la masse doit son existence. Si son idée répond au sentiment de la masse, il lui faut, en reprenant l’interdiction, décider elle-même sa dissolution.